Retrouver son Cap

En avant toute, la barre à gauche !

Le capitaine avait un air sérieux et décidé. La manœuvre, il connaît : 40 ans dans la marine marchande, une navigation sur toutes les mers du monde.

L’équipage était aguerri à tous les exercices nécessaires à la navigation. Il a confiance en l’homme de tête.

De tête ?… oui, ce jour là, le capitaine naviguait en eaux troubles. Ses pensées sombres comme l’encre d’une sèche le laissaient atterré. Il sentait la peur en lui grandir, mais il ne comprenait pas d’où elle venait, ni pourquoi elle s’élevait avec une telle véhémence. Lui qui avait toujours su contenir ses émotions et les dresser comme on dresse un chien.

Cette fois l’émotion était comme enragée et n’écoutait plus son maître. Non seulement une boule gonflait en lui et chose impossible, des larmes montaient et demandaient à sortir.

Il s’arc-boutât, se raidit autant qu’il pût et qu’il savait le faire… rien n’y fît… la remontée semblait inexorable.

Il couvrit son visage de ses mains et laissa s’échapper des sanglots retenus, pleins de pudeur. La vague le traversait, il répétait tout bas :

je suis perdu… je suis perdu…

Retrouver son Cap

Depuis 40 ans, je mène marchandises, hommes et bateaux dans tous les ports du monde sans jamais échouer et là, je me sens plein d’un vide qui me semble sans fond. Je me sens confus. Ma vie n’a pas de sens, pas de direction… c’est un échec complet.

Du creux des cieux, il entendit une voix que lui seul semblait percevoir :

  • Que se passe t-il en toi ?
  • Je ne me reconnais pas. Moi si fort, je suis comme vulnérable, sans volonté.
  • A quoi t’a servi ta volonté et ta force ?
  • A mener des bateaux à bon port, J’en suis fier.
  • N’as-tu pas d’autres aspirations ?

Il réfléchit ou plutôt se trouva comme pris dans un songe qui l’emmenait dans le lointain :

  • Ho, oui, il y a bien cette sensation en moi, mais j’ai tiré un trait et il est trop tard maintenant.
  • Racontes moi, s’il te plaît
  • J’ai eu voici bien longtemps, l’aspiration d’inventer un moyen nouveau de naviguer. Il s’agissait comme dans un rêve un peu fou de faire corps avec les éléments afin qu’ils nous portent presque sans effort d’un point à un autre. Tout reposait sur une intention ferme, une prière en quelque sorte. L’esprit alors s’élevait si haut qu’il communiait avec la matière et rendait disponible son énergie à nos véhicules maritimes.
  • Et alors ?
  • Alors que des expériences forts prometteuses m’encourageaient dans cette direction, une équipe de « spécialistes » ayant eu écho de mes études est venue et à totalement discréditée mon travail. Ils m’ont ridiculisé tant et si bien que même les personnes proches se sont détournées de moi. C’est à ce moment là que je mes suis juré de ne jamais plus être dissonant avec mes semblables. Je me suis mis au carré, j’ai discipliné et éduqué mon esprit pour qu’il ne permette plus de telles incartades.
  • C’est à ce moment là que tu t’es perdu.
  • Quoi, que dis tu ?
  • En refermant la porte de tes aspirations les plus folles, tu t’es coupé de la vie en toi. Aujourd’hui, tu es respecté pour ta rigueur mais tu es vide de vie. Tu es efficace mais inexistant. Tu t’es égaré.

L’homme redoubla de sanglots :

  • Je sais… je fais semblant depuis tant d’années.
  • Il n’est pas trop tard.
  • Mais je suis un vieil homme.
  • Jusqu’à ton dernier souffle, tu peux t’ouvrir à ce qui est grand en toi, avec ou sans projet de création.
  • Tu veux dire…
  • Oui, je te le dis.

L’homme fût parcouru d’un frisson. Il sentait en lui une énergie nouvelle. La joie, l’innocence et la paix le gagnait.

Il appela son second :

Ricoh, emmène-nous à bon port, j’ai autre chose de bien plus sérieux à réaliser.

Il regagna sa cabine, s’allongea sur sa couche et commença à sonder ce qui vibrait de vérité en lui.

Le capitaine avait retrouvé son CAP !

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